Orientations pour l'étude du thème
ORIENTATIONS POUR L'ÉTUDE DU THÈME CULTUREL ET SOCIO-ÉCONOMIQUE
POURQUOI TRAVAILLER ?
«Le travail (…); une occupation journalière à laquelle l'homme est condamné par son besoin et à laquelle il doit en même temps, sa subsistance, sa sérénité, son bon sens et sa vertu peut-être. » (D’Alembert et Diderot, Encyclopédie, 1751 à 1772) « La force de travail est une marchandise que son possesseur, le salarié, vend au capital. Pourquoi la vend-il ? Pour vivre. »
(Marx, Travail salarié et capital, 1849) « On vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir (…) un tel travail constitue la meilleure des polices (…) il tient chacun en bride. » (Nietzsche, Aurore, 1881) « Ne travaillez jamais ! » (Guy Debord, Inscription sur un mur de la rue de Seine, 1953)
Le sens du mot travail
L'étymologie du mot travail nous éclaire sur sa signification. Travail signifie originellement souffrance. Pour l’expliquer, il faut en effet partir de tripalium, mot latin de l’époque mérovingienne qui se trouve dans les décisions du concile d’Auxerre (578). Il désigne dans ce texte un instrument de torture, une « machine faite de trois pieux ». Ce sens primitif de « tourmenter » se trouve encore chez Corneille dans « Un songe me travaille » (Horace, scène 4 Acte IV). Cependant, dès le XVIème siècle, on rencontre fréquemment le verbe « travailler » au sens moderne de soutenir un effort, exercer une activité, un métier, face au verbe ancien « ouvrer » : « Et à son dit travaillaient pastourelles/ L’une plantait herbes en un verger (…) L’autre à aiguille ouvrait choses nouvelles » Marot, Complainte en forme d’églogue. Associé à une peine ou à une souffrance (dans la société gréco-romaine, le travail est une corvée dévolue aux esclaves, dans la société chrétienne, c’est une malédiction biblique) le travail est donc défini d’abord comme une obligation et comme une nécessité. Il s'oppose au repos, au calme, à la tranquillité, à la disponibilité propices à la réflexion, à l'art, à l'exercice de la politique, à la vie en société.
Paradoxalement, à l’époque moderne, on assiste à une inversion de ces valeurs puisque le travail s’affirme comme un facteur d'épanouissement, une valeur positive. Les artisans et artistes de
On observe cependant encore au XIXème siècle l’opposition persistante entre une approche élitiste (travail superflu et méprisé) et le sens populaire (travail recherché et nécessaire).
Ainsi le terme congés, utilisé à partir de 1936, est-t-il souvent employé de manière péjorative, tout au moins jusqu' en 1960. Mais les débats changent progressivement de nature et l’on passe au début du XXème siècle à l'opposition entre travail aliénant et travail "épanouissant",(cf. "le travail joyeux" d'André Gide Journal, 4 août 1936).
La période récente oppose même le travail/émancipation au chômage/aliénation : il faut d’ailleurs noter l’exaltation paradoxale du travail au moment où sa disparition est une menace réelle : mécanisation, délocalisations, précarisation constante (cf. Hannah Arendt qui souligne le danger de réduire l’homme au travailleur dans une société sans travail).
Le travail en question aujourd’hui
Les critiques du travail ont donc d'abord relevé d'un comportement aristocratique et élitiste (de Platon à Nietzsche ) avant d'accompagner la montée des eschatologies ou même des espérances religieuses ( Luther et Calvin).
Il faut souligner cependant que les analyses des XVIIIème et XIXème siècle (Hegel, Marx, Fourier, Proudhon…) ne critiquent pas le travail mais les conditions de travail, facteur d'aliénation. Si Marx dit que le travail moderne est une exploitation, c’est parce que le capitaliste organise le vol du fruit du travail de l’ouvrier ; il souligne bien par ailleurs que le travail nous distingue de l’animal. Avec
prendre conscience de nous-mêmes et de nous libérer ; dans une société aristocratique, le maître est oisif et consomme tandis que l’esclave progresse parce qu’il travaille (cf. Hegel).
Les analyses contemporaines du travail déplacent et élargissent encore cette problématique. Le travail qui fait souffrir demeure. C’est encore celui qui requiert des gestes standardisés. Ne pouvant inventer des gestes pour soi dans le travail à cause de la surveillance, le travailleur est placé hors de soi (aliénation et taylorisme). Mais c’est aussi celui, plus récent, qui mobilise l’intelligence du travailleur immatériel au moyen de nouvelles prothèses technologiques. Avec l’ordinateur, le téléphone portable, il n’existe plus de ligne de partage : le travail ne cesse plus le week-end et le temps de la vie reste mobilisé à des fins productives. Mû par une nécessité qui vient de l’intérieur, le travailleur immatériel s’exploite lui-même et expérimente le décalage existant entre ce qu’il est censé assumer et la réalité de sa production : souffrance encore (C. Dejours).
Le chômage ne révèle-t-il pas, finalement, que la vraie fin du travail n’est plus l’homme, sa subsistance ou son épanouissement ? L’impératif économique impose les profits à l’entreprise et le salarié gagne un salaire stable. Il s’affirme donc grâce à son travail jusqu’au moment où son salaire et son statut entrent en contradiction avec ces profits…
Quelques pistes de réflexion :
Pourquoi travailler ?
Pour s’assurer un salaire ? La besogne faisant écho au besoin, le travail serait l'assurance de l'autonomie, l'accès au permis de consommer.
Pour donner du sens à son existence ? Le travail serait le fait social par excellence et sa place serait essentielle dans la constitution de l’identité humaine : être utile, être reconnu, se réaliser dans un travail intéressant.
Pour assurer sa dignité ? Selon l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ». Pour sa part, le préambule de la Constitution de 1946 (IVème République) repris dans celui de la Constitution de 1958 , alinéa 5, stipule : « Chacun a le droit de travailler et le droit d'obtenir un emploi». Par ailleurs, le contrat de travail est officiellement défini comme contrat de « subordination » dans le code du travail.
Comment envisager le travail dans une société en crise ?
Faut-il travailler plus longtemps ? Pour gagner plus ? Quelle limite à la durée du travail ?
Quelle répartition entre temps de travail et temps libre ? Travailler mieux ? Travailler moins ?
Faut-il imposer des limites à la productivité ? Quand faut-il arrêter le travail ? S'agit-il de reculer indéfiniment l'âge de la retraite ? Faut-il "partager" le travail ? Comment ? La « souffrance au travail » est une donnée mesurable (cf. karoshis terme japonais qui désigne les morts par surtravail).
Faut-il continuer à travailler autant ou davantage ? Les ressources à distribuer ne sont-elles pas de plus en plus limitées ? La recherche de productivité ne dégrade-t-elle pas les biens collectifs ?
Ces quelques questions n’épuisent pas le thème, elles ne présupposent aucune réponse et se veulent simplement l’amorce d’une problématique que chaque enseignant rendra d’autant plus sensible aux étudiants qu’il se la sera personnellement appropriée.
L’approche culturelle et socio-économique de ce thème impose cependant que les enjeux culturels soient explorés au regard d’une conception large de la culture, notamment dans ses interactions sociales et économiques, et en incluant une approche historique et spatiale.
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