Espace BTSA Epreuve T1

Espace BTSA  Epreuve T1

une épreuve fournie par Kisito (Annonay)

EXPRESSION FRANCAISE ET CULTURE SOCIO-ECONOMIQUE

Durée : 4 heures

Aucun matériel ni document n'est autorisé

 

Quatre points seront consacrés à l'évaluation de la présentation et à celle de la maîtrise des codes (orthographe et syntaxe)

 

Première partie (7 pts)

Les questions ont trait au document principal « Pourquoi travaille-t-on ? ». Vous y répondrez de façon claire et précise.

 

1- Parmi les motivations avancées par le Chevalier, quelle est celle qui vous paraît la plus pertinente ? Justifiez votre réponse. (2 pts)

2- Expliquer la phrase suivante :       (2 pts)

« On croit qu'en multipliant la richesse, on multiplie la vie »

3- Un travail qui ne se justifie pas de Dieu est-il nécessairement dénué de sens ?      (2 pts)

4- Relevez au moins une figure de style (1 pt)

 

Deuxième partie (9 pts)

Pour permettre aux jeunes diplômés de déterminer le rôle et la signification du travail dans la condition humaine, l'agence Pôle-Emploi de votre ville a organisé une table ronde au cours de laquelle vous avez exposé et défendu votre point de vue, à savoir : « Le travail humanise l'homme et contribue à créer  un monde humain très éloigné de la vie animale. »

Dans une lettre (3 pages environ) à adresser au Directeur d'un quotidien national, vous rendez compte des échanges et surtout de votre point de vue argumenté de manière à l'inciter à le publier dans son journal.

Pour rédiger votre lettre, vous ferez appel à vos connaissances et vous pourrez utiliser les documents joints en annexe

Document principal

 

Pourquoi travaille-t-on ?

Extrait de L'aventure ambiguë (1961) de Cheikh Hamidou Kane, écrivain d'origine sénégalaise.

 

Annexes

-         L'érotisme (1957), Georges Bataille, coll. « 10/18-, UGE, pp. 174-175. »

-         Pourquoi les chimpanzés ne travaillent pas ?, extrait de Les Origines animales de la culture (2001), Dominique LESTEL, philosophe allemand.

 

 

 


Document principal

 

Pourquoi travaille-t-on ?

Dans un dialogue entre le Chevalier et son fils Samba Diallo, l'auteur de L'Aventure ambiguë aborde cette question en même temps qu'il est amené à réfléchir sur les rapports entre l'homme qui travaille et l'homme qui croit.

 

 

Le chevalier considéra son fils en silence, quelques secondes, puis, au lieu de répondre à sa question, il lui demanda :

— A ton avis, pourquoi travaille-t-on?

— Pour vivre...

— Ta réponse me plaît. Mais à ta place, j'aurais été moins catégorique. Ma réponse aurait été énumérative, de la forme suivante, par exemple : « On peut travailler pour vivre, on peut travailler pour survivre, dans l'espoir de multiplier la vie qu'on a, sinon dans la durée — on ne le peut encore — du moins dans son intensité : le but du travail est alors d'accumuler. On peut travailler... pour travailler, cela se trouve. » Mon énumération n'est pas limitative. Admets-tu que je sois plus dans le vrai que toi? et que mon énumération est juste?

— Oui.

Le chevalier joignit ses deux mains si belles et les posa sur ses genoux. Son regard se perdit devant lui. « Même en pensant, il a l'air de prier, se dit Samba Diallo. Peut-être prie-t-il réellement? Dieu l'a vraiment envahi tout entier. »

— Donc, on peut travailler par nécessité, pour faire cesser la grande douleur du besoin, celle qui sourd du corps et de la terre, pour imposer silence à toutes ces voix qui nous harcèlent de demandes. On travaille alors pour se maintenir, pour conserver l'espèce. Mais on peut travailler aussi par avidité; dans ce cas, on ne cherche pas seulement à obstruer le trou du besoin; il est déjà pleinement comblé. On ne cherche pas même à devancer la prochaine échéance de ce besoin. On accumule frénétiquement, on croit qu'en multipliant la richesse on multiplie la vie. Enfin, on peut travailler par manie du travail, je ne dis pas pour se distraire, c'est plus frénétique que cela, on travaille par système. Il en est du travail comme de l'acte sexuel. Tous deux visent la perpétuation de l'espèce. Mais tous deux peuvent avoir leur perversion: chaque fois qu'ils ne se justifient pas par cette visée.

Son regard sembla revenir plus près. Il changea d'attitude et se pencha vers Samba Diallo. « Oh! Comme il est beau et comme je l'aime de se passionner ainsi pour son idée. »

— Veux-tu maintenant que nous élargissions et examinions ces idées en fonction de Dieu?

— Oui. Prenons le cas où le travail vise à conserver la vie. Raisonnons sur lui, puisqu'il est le cas de rigueur. Même dans ce cas, le travail diminue la place de Dieu dans l'attention de l'homme. Cette idée me blesse par quelque côté. Elle me paraît contradictoire. La conservation de la vie — donc le travail qui la rend possible — doit être œuvre pie. La contemplation de Dieu est l'œuvre pie par excellence. D'où vient la contrariété de ces deux visées, cependant les mêmes par ailleurs?

Tout le temps qu'il parlait, Samba Diallo avait baissé le regard, en partie pour mieux suivre son idée et en partie pour se dérober au regard du chevalier. Quand il eut fini, il leva les yeux. Le chevalier, toujours dans la même posture de prière, souriait maintenant d'un air à la fois ravi et moqueur. Ses yeux pétillaient. « II étincelle, le moine étincelle », pensa Samba Diallo.

— Pourquoi t'obstines-tu à baisser le regard? Discutons plutôt, apprenti philosophe.

Il marqua un temps, eut l'air de s'assombrir et ajouta:

— J'aime mieux ces idées qu'on éprouve au grand jour que celles qu'on laisse rancir par-devers soi. Ce sont celles-là qui empoisonnent et parfois tuent.

Il se rasséréna à l'instant et à nouveau se mit à sourire.

— Il me semble, jeune philosophe, pour en revenir à l'idée qui t'inquiète, qu'il nous faut la serrer de plus près, afin de l'avoir simple et pure. Or, l'idée du travail pour la conservation de la vie ne me paraît pas assez simple. Elle a des stades antérieurs.

— Assurément, par exemple l'idée même de la vie, en tant que valeur.

— Bravo! Considérons le travail dans le cas il est lié à la vie par un rapport de justification. Je dis que tout ce qui justifie et donne son sens à la vie, par là même et a posteriori, donne son sens au travail...

— Je vois ta conclusion.  Lorsqu'une vie se justifie de Dieu, tout ce qui tend à la conserver

— donc le travail — se justifie aussi de Lui.

— Correct. Le travail, en effet, se justifie de Dieu dans la mesure stricte la vie qu'il conserve se justifie de Dieu. Si un homme croit en Dieu, le temps qu'il prend à sa prière pour travailler est encore prière. C'est même une très belle prière.

Samba Diallo, longtemps, demeura silencieux. Le chevalier était absorbé par ses pensées. Il ne souriait plus.

— J'ajoute — mais ce n'est plus là que l'expression d'une conviction personnelle — qu'une vie qui se justifie de Dieu ne saurait aimer l'exubérance. Elle trouve son plein épanouissement dans la conscience qu'elle a, au contraire, de sa petitesse comparée à la grandeur de Dieu. Chemin faisant, elle se grandit, mais cela ne lui importe pas.

— Mais si la vie ne se justifie pas de Dieu? Je veux dire, si l'homme qui travaille ne croit pas en Dieu?

— Alors, que lui importe de justifier son travail autrement que par le profit qu'il en tire? La vie dans ce cas n'est pas œuvre pie. La vie est la vie, aussi court que cela puisse paraître.

Ils observèrent le silence quelque temps, puis ! Chevalier reprit:

— L'Occident est en train de bouleverser ces idées simples, dont nous sommes partis. Il a commencé, timidement, par reléguer Dieu « entre des guillemets ». Puis, deux siècles après, ayant acquis plus d'assurance, il décréta: « Dieu est mort ». De ce jour, date l'ère du travail frénétique. Nietzsche est contemporain de la révolution industrielle. Dieu n'était plus là pour mesurer et justifier. N'est-ce pas cela, l'industrie? L'industrie était aveugle, quoique, finalement, il fût encore possible de domicilier tout le bien qu'elle produisait... Mais déjà cette phrase est dépassée. Après la mort de Dieu, voici que s'annonce la mort de l'homme.

— Je ne comprends pas...

— La vie et le travail ne sont plus commensurables. Jadis, il existait comme une loi d'airain qui faisait que le travail d'une seule vie ne pouvait nourrir qu'une seule vie. L'art de l'homme a brisé cette loi. Le travail d'un seul permet de nourrir plusieurs autres, de plus en plus de personnes. Mais voici que l'Occident est sur le point de pouvoir se passer de l'homme pour produire du travail. Il ne sera plus besoin que de très peu de vie pour fournir un travail immense.

— Mais, il me semble qu'on devrait plutôt se réjouir de cette perspective.

— Non. En même temps que le travail se passe de la vie humaine, en même temps il cesse d'en faire sa visée finale, de faire cas de l'homme. L'homme n'a jamais été aussi malheureux qu'en ce moment où il accumule tant. Nulle part, il n'est aussi méprisé que là où se fait cette accumulation. C'est ainsi que l'histoire de l'Occident me paraît révélatrice de l'insuffisance de garantie que l'homme constitue pour l'homme. Il faut au bonheur de l'homme la présence et la garantie de Dieu.

 

Cheikh Hamidou Kane, L'aventure ambiguë, 1961, 1ère partie, chap. IX


Annexe n° 1

 

L'EROTISME

Ce que j'ai dit d'abord montrait que l'opposition fondamentale de l'homme à la chose ne pouvait être formulée sans impliquer l'identification de l'animal à la chose. Il y a d'une part un monde extérieur, le monde des choses, dont les animaux font partie. D'autre part un monde de l'homme, envisagé essentiellement comme intérieur, comme un monde de l'esprit (du sujet). Mais si l'animal n'est qu'une chose, si c'est le caractère qui le sépare de l'homme, il ne l'est pas au même titre qu'un objet inerte, qu'un pavé, qu'une bêche. Seul l'objet inerte, surtout s'il est fabriqué, s'il est le produit d'un travail, est la chose, par excellence privée de tout mystère et subordonnée à des fins qui lui sont extérieures. Est chose ce qui, pour son propre compte, n'est rien. En ce sens, les animaux ne sont pas en eux-mêmes des choses, mais l'homme les traite comme tels : ils sont des choses dans la mesure où ils sont l'objet d'un travail (élevage) ou des outils de travail (des bêtes de somme ou de trait). S'il entre dans le cycle des actions utiles, comme un moyen, non comme une fin, l'animal est réduit à la chose. Mais cette réduction est la négation de ce qu'il est malgré tout : l'animal n'est une chose que dans la mesure où l'homme a le pouvoir de le nier. Si nous n'avions plus ce pouvoir, si nous n'étions plus en état d'agir comme si l'animal était une chose (si un tigre nous terrassait), l'animal ne serait pas en lui-même une chose : ce ne serait pas un pur objet, ce serait un sujet qui aurait pour lui-même une vérité intime.

De même l'animalité subsistante de l'homme, son exubérance sexuelle, ne pourrait être envisagée comme une chose que si nous avions le pouvoir de la nier, d'exister comme si elle n'était pas. Nous la nions en effet, mais en vain. La sexualité, qualifiée d'immonde, de bestiale est même ce qui s'oppose au maximum à la réduction de l'homme à la chose : la fierté intime d'un homme se lie à sa virilité. Elle ne répond nullement en nous à ce qu'est l'animal nié, mais à ce que l'animal a d'intime et d'incommensurable. C'est même en elle que nous ne pouvons être réduits comme des bœufs à la force de travail, à l'instrument, à la chose. Il y a sans nul doute dans l'humanité— au sens contraire d'animalité- un élément irréductible à la chose et au travail : sans nul doute, en définitive, l'homme ne peut être asservi, supprimé, au même point que l'animal. Mais ce n'est clair qu'en second lieu : l'homme est d'abord un animal qui travaille, se soumet au travail et, pour cette raison, doit renoncer à une part de son exubérance. Il n'y a rien d'arbitraire dans les restrictions sexuelles : tout homme dispose d'une somme d'énergie limitée et, s'il en affecte une partie au travail, elle manque à la consumation érotique, qui en est d'autant diminuée. Ainsi l'humanité dans le temps humain, anti-animal, du travail est-elle en nous ce qui nous réduit à des choses et l'animalité est alors ce qui garde en nous la valeur d'une existence du sujet pour lui-même.

Ceci vaut d'être donné en formules précises.

L'« animalité », ou l'exubérance sexuelle, est en nous ce par quoi nous ne pouvons être réduits à des choses.

L'« humanité » au contraire, en ce qu'elle a de spécifique, dans le temps du travail, tend à faire de nous des choses, aux dépens de l'exubérance sexuelle.

 

Georges Bataille, L'Érotisme, coll. « 10/18-, UGE, pp. 174-175. »


 

 

Pourquoi les chimpanzés ne travaillent pas ?

Au contraire de ce qu'on voit chez l'homme, l'activité technique du chimpanzé est fondamentalement solitaire et individuelle. La coopération technique de ces primates est rarissime. Wolfgang Ko hier1, avec son flair habituel, l'a très bien vu. Il suggère que l'usage de l'outil est pour l'homme une activité sociale, alors que le chimpanzé incorpore plutôt des objets dans les activations locomotrices du corps2. Reynolds3 n'hésite cependant pas à franchir un pas supplémentaire en considérant qu'une différence fondamentale sépare la nature même des objets qui sont manipulés par les humains et ceux qui le sont par les chimpanzés.

Les chimpanzés utilisent en effet, la gravité'4 pour élaborer des constructions complexes alors que les humains fabriquent aussi des attaches et des joints. Doit-on s'étonner alors qu'hommes et chimpanzés adoptent des styles très différents ? Il n'existe pas en anglais, explique Reynolds, « de mot adéquat pour caractériser un objet distinct, non attaché à une surface ou à un autre objet, que l'on peut tourner comme une unité dans toutes ses dimensions spatiales sans qu'il tombe ». Un tel concept est pourtant requis pour comprendre en quoi l'utilisation des outils chez les chimpanzés est très différente de celle de l'humain. Un lithe5 composé de lithes qui ont été joints ensemble sera appelé un polylithe. Reynolds définit le lithe par son intégrité et par sa portabilité. Il ne le fait pas en invoquant la nature des matériaux dans lesquels l'artefact6 est conçu, ni la simplicité de sa construction. Les polypodes7 tiennent par l'action de la gravité ; le polylithe par les joints et les attaches qui retiennent les différentes parties dont il est composé. Les premiers ne peuvent pas être décrits comme plus simples ; ils sont d'une conception autre. Or les chimpanzés sont capables de fabriquer des polypodes, pas des polylithes. La raison en est qu'il n'y a pas de division du travail chez les primates. De façon marquante, certaines activités coopératives qui nous semblent très primitives ne seront jamais observées chez un grand singe, comme le fait de tenir une échelle de façon à ce qu'un autre puisse y grimper. Reynolds lie d'ailleurs la capacité à construire des poly­lithes et la capacité à s'engager dans une coopération hétérotechnique8.

[...] Le problème des polylithes est d'autant plus crucial que Reynolds considère que le langage humain les présuppose. Le langage peut en effet être caractérisé comme étant une unité qui est conçue à partir de parties qui s'agencent selon des séries de transformations. Les constructions linguistiques des primates indiquent d'ailleurs qu'ils ont la même difficulté à construire l'analogue des polylithes linguistiques pour les polylithes physiques. Reynolds offre ainsi l'une des argumentations les plus riches en faveur des différences qualitatives entre les techniques humaines et les techniques chimpanzées.

 

Dominique lestel, Les Origines animales de la culture, Flammarion, 2001, p. 98-99.

1.    Psychologue américain d'origine allemande (1887-1967), pionnier des études sur l'intelligence des chimpanzés dans les années 1920

2.    Les mouvements effectués par le singe, efficaces matériellement, -nais de façon purement individuelle. On n'a pas observé de chimpanzés se servant ensemble d'un même objet.

3. Ethnologue contemporain.

4.    Le poids. Les chimpanzés savent en effet construire des structures tenant debout grâce à leur poids (par exemple, des abris) mais ne pouvant être déplacées sans se défaire.

5.    Néologisme désignant un artefact (objet artificiel, absent de la nature) mobile, composite et cohérent (par exemple, un panier tressé). On peut le manipuler sans le désintégrer.

6.    Voir note précédente.

7.    Artefact posé sur plusieurs pieds (du grec podos, « pied »), par exemple, une hutte sans entrelacement des branchages.

8.    Coopération avec un autre technicien ou bien avec un individu qui effectue un autre acte technique (du grec hétéros, «autre»).

 



30/01/2010

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