Espace BTSA Epreuve T1

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En plein dans le sujet (toujours Pascale)

Au-delà des mots
Les impacts du progrès technique sur l'emploi

" La machine prend à sa naissance la place des travailleurs puisque précisément elle a été conçue dans ce but ". Alfred Sauvy

La mécanisation des activités productives, et plus généralement la diffusion du progrès technique sont souvent désignées d'une part, comme l'une des sources de la dégradation du niveau de l'emploi, et d'autre part comme une cause de la modification de l'organisation du travail. Ce débat ancien est apparu en France avant la Révolution française (manifestation des porteurs d'eau à Paris dont l'emploi était menacé par l'installation des fontaines publiques). Il s'est poursuivi avec la révolution industrielle (révolte des canuts à Lyon en 1831) et il retrouve aujourd'hui une actualité avec la crise persistante de l'emploi que connaissent les principaux pays industrialisés européens depuis plus de 25 ans, parallèlement, au développement des NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication) dans cette même période.

Le progrès technique, c'est-à-dire l'ensemble des processus productifs ou organisationnels destinés à accroître la productivité de la firme, entraîne deux effets principaux. Il permet d'une part l'apparition de nouveaux produits ou de nouveaux marchés (effet sur la demande), et d'autre part, il rend possible la modification des techniques productives, par des innovations de " process ", ou par des innovations organisationnelles (effet sur l'offre par la productivité).

Ainsi, le progrès technique autorise l'apparition et le développement de nouvelles activités (communication et informatique par exemple), et d'autre part, il est à l'origine, dans des positions concurrentielles défavorables, de la réduction sensible du volume des emplois offerts. Par exemple, sur le marché de l'informatique, Microsoft emploie aujourd'hui.30 000 salariés, 27 ans après sa création (23 milliards de CA pour un profit net de 9 milliards de US $) alors que simultanément IBM, de 1990 à 1995 a réduit ses effectifs de plus de 40 %, à chiffre d'affaires quasi constant en termes réels pour cette même période. Avec aujourd'hui 86 milliards de $ de CA pour un profit net de 7,7 milliards pour cette dernière société, on constate que l'utilisation de l'innovation, sur le même marché générique, donne des résultats bien différents !

Par ailleurs, l'innovation change aussi le contenu de l'emploi (plus de qualification), l'organisation du travail (modification de la segmentation du marché interne du travail) et fait apparaître de nouvelles formes de travail (le télétravail).

On distinguera donc ici " l'effet volume " de l'innovation sur la demande d'emploi proposée par les firmes, de ses conséquences sur le contenu, les qualifications et l'organisation du travail dans les entreprises elles-mêmes, c'est-à-dire " l'effet valeur ".

L'effet volume

Le progrès technique peut être simultanément à l'origine de l'augmentation nette du volume de l'emploi offert, mais aussi la cause de sa réduction.

Alfred Sauvy, dans " La machine et le chômage ", a montré que la crainte de la mécanisation n'est pas un phénomène récent. Cependant, de manière traditionnelle, l'analyse macro-économique sur le long terme montre que le progrès technique est l'un des facteurs de la croissance économique, et donc une source de création nette d'emploi.

La théorie du déversement, ou de la compensation, d'A. Sauvy montre que la destruction des emplois dans les secteurs en déclin est plus que compensée par la création de nouveaux emplois dans les secteurs en expansion. Ainsi s'analyse le déclin de l'emploi agricole et la montée de l'emploi dans le secteur secondaire, puis le récent déclin de l'emploi industriel au profit du secteur tertiaire, a priori moins mécanisable. Cette hypothèse, plutôt optimiste, semble vérifiée, jusqu'à présent, sur le long terme, sans nier toutefois les difficultés de transition, liées aux ajustements structurels (chômage frictionnel).

D'autre part Schumpeter fait de l'innovation et du progrès technique l'une des sources de la croissance économique et de l'emploi. En autorisant des gains de productivité, la machine permet simultanément de réduire les coûts, d'augmenter les salaires, la demande et l'emploi. Le progrès technique est donc en partie à l'origine de phases d'expansion, par sa diffusion sous forme de grappes d'innovation qui soutiennent la croissance des industries motrices, au dépend des activités traditionnelles en déclin. L'innovation joue ici un double rôle : elle exerce un effet d'entraînement sur la demande (et donc sur l'emploi), et stimule la productivité de la firme.

Enfin le progrès technique fait apparaître de nouveaux marchés ou de nouvelles activités, destinés à compenser les externalités négatives créées par le progrès technique lui-même (dans le domaine de l'écologie ou dans le marché de la dépollution par exemple).

Cependant, ces interprétations qui ont accompagné notamment la croissance des " Trente glorieuses ", semblent partiellement remises en cause avec la crise contemporaine.

L'informatisation d'une partie du secteur tertiaire, traditionnellement protégé de la mécanisation, montre les limites de la théorie du déversement d'A Sauvy. Plus précisément la pensée de cet économiste repose sur l'idée que la croissance de la productivité, supérieure à la croissance des salaires réels, permet de diminuer les coûts salariaux unitaires, à l'origine de l'augmentation de la demande de travail des entreprises. La baisse des prix et l'augmentation du pouvoir d'achat distribué facilitent l'écoulement des produits fabriqués. Ce mécanisme correspond au mode de croissance des " Trente glorieuses ". Cependant un saut technologique majeur (le microprocesseur puis l'industrie de la micro-informatique par exemple) ne garantit pas la compensation. À court terme, si la perte d'emploi liée à la mécanisation des postes jusqu'ici préservés du progrès technique (dans une partie du tertiaire par exemple) est certaine, la compensation à un horizon temporel plus lointain n'est pas assurée. D'autre part, on se place ici dans un modèle concurrentiel où l'augmentation de la productivité due à la mécanisation se répercute sur les prix qui baissent. Or sur les marchés d'oligopole (le marché de la téléphonie mobile ou le marché des logiciels de bureautique grand public par exemple), ce mécanisme n'est pas toujours vérifié.

D'autre part, le modèle de Beaumol, en distinguant les secteurs à productivité croissante des secteurs à productivité stagnante montre, par l'intermédiaire des coûts relatifs des biens produits dans ces deux secteurs, la responsabilité du progrès technique dans la destruction des emplois. L'application de cette distinction au secteur tertiaire fait apparaître un secteur tertiaire mécanisable (dans les banques, par la mécanisation informatique, dans la grande distribution ou dans les chaînes d'hôtelleries ou de restauration rapide par la standardisation des tâches ou des procédures), qui cohabite avec une autre partie du secteur tertiaire dont la productivité ne progresse pas (services de proximité, petits commerces et certains services publics non marchands tels que l'éducation). Or la mécanisation du secteur tertiaire croissant détruit des emplois (dans les banques, les assurances et la grande distribution notamment), que ne compensent pas les créations du secteur tertiaire stagnant (commerce de proximité et services non-marchands de l'éducation par exemple).

Enfin, Gershuny développe l'idée que l'emploi tertiaire ne pourrait être un refuge contre le chômage qu'au détriment de la compétitivité. En effet, sous l'hypothèse que les ménages procèdent à un arbitrage entre plusieurs solutions (un bien ou un service par exemple) pour pouvoir satisfaire un besoin donné, les consommateurs choisissent de manière croissante les biens, car la production de ceux-ci est à productivité croissante, compte tenu des progrès techniques, et leurs prix relatifs ne peuvent que diminuer. C'est ce qu'illustre la baisse de fréquentation des salles de cinéma sur le long terme, et la croissance régulière du parc de magnétoscopes, puis de lecteurs de DVD par exemple, ou le remplacement du personnel domestique par l'équipement électroménager. Cette évolution est renforcée par la tendance à la hausse du coût du travail et à la baisse relative du coût du capital technique.

Cependant le progrès technique modifie également le contenu du travail, ainsi que les compétences requises, ce qui n'est pas sans effets sur l'organisation du travail lui-même.

L'effet valeur

La mécanisation croissante dans les industries de process par exemple, ou son extension à des secteurs jusqu'à présent relativement épargnés par le progrès technique modifie le contenu du travail.

En effet, la technicité croissante appelle des qualifications plus élevées, ce qui induit soit un allongement de la durée de la formation initiale (constat de l'augmentation de la durée de scolarisation et donc réduction de la population active), soit un recours accru à la formation professionnelle continue. Cette qualification plus élevée favorise la polyvalence des compétences, donc partiellement la flexibilité du système productif de la firme. Cette interdépendance des investissements de productivité et de certains investissements immatériels tels que la formation pose le problème de la gestion de la main-d'œuvre.

D'autre part, le progrès technique enrichit le travail en accroissant la complexité des tâches (les opérations de production et de maintenance sont confiées au même poste de travail). Simultanément, ces innovations appauvrissent le travail le moins qualifié et tendent à le faire disparaître dans les activités de production industrielle. Ce mécanisme explique la substitution du travail qualifié au travail non qualifié.

Enfin, en période de faible croissance, par l'accroissement mécanique de la productivité, le progrès technique permet la réduction du temps de travail, ou autorise l'accroissement de la durée des équipements productifs, sous réserve de l'adaptation des règles sociales et du droit du travail (travail de nuit notamment, RTT et loi Aubry sur les 35 heures).

Mais le progrès technique modifie aussi l'organisation du travail.

D'une part, la technicité croissante modifie la segmentation du marché du travail. En effet, si les nouvelles technologies exigent davantage de qualifications générales, ces qualifications sont de moins en moins liées à une entreprise précise. D'où l'hypothèse que l'introduction de nouvelles technologies réduit l'importance des marchés du travail interne à l'entreprise mais développe le poids des marchés du travail externe.

D'autre part, les nouvelles technologies modifient les relations de travail, en supprimant souvent la séparation entre production et contrôle, c'est-à-dire l'un des fondements de la hiérarchie des unités de production.

Enfin, le développement des technologies de la communication et de l'information est à l'origine de l'émergence d'une nouvelle forme d'organisation du travail : le télétravail, ou travail relié à domicile, qui permet notamment la réduction des coûts externes du travail (transport, encombrement urbain), et la réduction des coûts de transaction.


Les impacts du progrès technique sur le travail et l'emploi sont donc multiples mais semblent plus décisifs sur la nature du travail que sur le volume de l'emploi. Ainsi la reprise de l'emploi et la création de postes de travail depuis les années 1997 en France, semble plus dues au retour d'une croissance forte (supérieure à 2,5 %) qu'au développement des NTIC ou à l'éclatement de la bulle spéculative de l'Internet. Il semble que ce soit l'environnent économique et social qui amplifie, ou réoriente, les conséquences mesurables de l'innovation sur la sphère de l'emploi.

Les effets du progrès technique sur le contenu de l'emploi sont étroitement liés à leurs acceptations sociale et politique. En effet, les effets du progrès technique peuvent demander, ou imposer, des changements dans les domaines législatifs (droit du travail, droit social et droit fiscal notamment), dans la réglementation, dans le domaine éducatif, comme dans le comportement des dirigeants d'entreprise et des salariés.

Les effets du progrès technique sur le volume de l'emploi sont liés à la nature même de l'invention ou de l'innovation (dans le domaine organisationnel notamment), de leurs domaines d'application, mais aussi au contexte de la firme. En effet, en période de croissance soutenue, l'investissement technique, qui matérialise le progrès technique, est d'abord un investissement de capacité pour les marchés récents en forte croissance (téléphonie mobile par exemple) ce qui est plutôt favorable à l'emploi. À l'inverse, en période de croissance faible, l'investissement technologique est d'abord un investissement de productivité pour les marchés à croissance ralentie par la saturation (petit électroménager par exemple), dont l'objectif est de substituer du capital au travail, afin de maintenir la compétitivité de la firme.

En ce sens, les investissements de demain ne sont pas (toujours) les emplois d'après demain.

Mots clés :
Beaumol, Compensation, Déversement, Emploi , Gershuny, Innovation, Investissement de capacité, Investissement de productivité, Progrès technique, Schumpeter, Sauvy, Tertiarisation, Travail

 



07/05/2006

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